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Quand tu prendras le chemin d’Ithaque,
Souhaite que la route soit longue,
Pleine d’aventure, riche d’enseignements. »
Constantine P. Cavafy - Extrait du poème Ithaque
 

L’histoire nous a appris à adopter la culture de l’autre et à détourner les yeux de nous-mêmes, nous rendant hermétiques à nos richesses. Le Carnaval, dans ce contexte, se dresse comme un lieu de contrepouvoir qui résiste à l’oubli.

Derrière l’évidence de la couleur et des festivités qui voile son caractère subversif, apparaissent d’autres langages; le choix du noir et blanc autorise un regard intime sur cet espace où le mélange des influences post coloniales, des cultures locales et de celles des populations déplacées ont engendré une identité propre.
Je ne prétends pas parler d’un Carnaval caribéen, ni même me poser en expert des Carnavals de chacun des endroits visités. Le Carnaval reste une connaissance, une expérience à vivre.

« Arte es un viaje de vuelve », m’a t’on dit. La maison est le lieu qui nous fonde et nous donne sens, elle est le support de notre sentiment d’identité. De retour sur Ithaque, fertilisé par les enseignements glanés en route, désorienté par les spécificités de chacune des manifestations carnavalesques mais aussi rassuré par d’invariants fondamentaux, j’ai la sensation d’avoir élargi les murs de ma propre maison ; le vent circule mieux et la vision de l’horizon est plus claire.

Mes photographies sont la trace de ce parcours initiatique dont je suis revenu « mofwazé » et que je vous
propose de partager; Et tant mieux si la route est longue…

« Have a nice trip ».


Nada de balcones

«Le carnaval n’est pas seulement un débordement d’instincts libérés, hors des
limites de la plantation. Peu à peu il a renforcé la tendance à faire de toute
manifestation culturelle à la fois un acte de conscience et une fête : la mise en
commun des raisons d’exprimer le monde et la conception qu’on en a.»
— Edouard Glissant

Si nous décidions de regarder notre passé depuis les temps postcoloniaux, considérant le développement de l’industrie sucrière comme caractéristique insulaire, nous rencontrerions de la disparité dans la mosaïque culturelle composant nos latitudes géographiques, qu’il s’agisse de langues, coutumes, ou de sujets politiques et religieux. Cependant, dans le carnaval surgissent des similitudes qui nous rassemblent; cette catharsis collective intégrant les excès d’une célébration profane, qui prépare en couleur les corps à accueillir les privations du Carême commençant le Mercredi des Cendres.

« PARADES » de Nicolas Derné est un projet de recherche et de création photographique qui s’approprie ce phénomène éphémère socio-politico-culturel. L’artiste rompt avec la vision stéréotypée du carnaval et de la Caraïbe, symbole de couleurs et de brouhahas, vu depuis les trottoirs ou les balcons.
Nicolas Derné explore d’autres esthétiques, d’autres façons de raconter qui nous saisissent et invitent à participer.

Le premier geste consiste a supprimer la couleur, nous obligeant, en tant que spectateurs, à penser ces couleurs vibrantes et vitaminées déguisées d’une nostalgie sincère avec beaucoup de vérité : nous n’avons pas besoin de la couleur pour percevoir la puissance de l’impact.

Nicolas nous entraîne dans les villes, dans les quartiers, dans les rues de nos îles et avec sarcasme, il nous donne à voir le contenu tant éblouissant qu’émotionnel des joies et misères humaines qui se dévoilent dans les mascarades : des rires pour ne pas pleurer. L’artiste nous montre un carnaval singulier, subversif où l’exclusion devient inclusive et où il fait appel à la mélancolie comme métaphore.

Il va plus loin que ces cartes postales paradisiaques, typiques des croisières de la Caraïbe qui vendent un paradis rêvé et, c’est justement dans cette « danse dans la rue »1 qu’il nous invite à réfléchir sur le comportement de nos sociétés dans la contemporanéité de notre richesse poétique et spirituelle. Ainsi, il nous conduit dans un voyage rénovateur et introspectif, à la rencontre des influences coloniales et postcoloniales, locales et africaines, qui donnent naissance a une identité propre à la recherche du caché, du complexe et du marginal.

Ce projet a commencé dans sa Martinique en 2011, comme une exploration photographique qui l’amènera en Guadeloupe, à Trinidad, à Cuba et en République Dominicaine. Cette recherche lui dévoile une réalité interconnectée allant de nos ancêtres à la diaspora, qui nous transforme en des individus complexes, réalité où vit un profond dialogue entre les peuples, car comme l’écrit le poète barbadien Edward Kamau Brathwaite « L’unité est sous-marine ».

Nicolas Derné ne perd pas de temps. Il se situe tantot au centre tantot à la périphérie, comme l’unique témoin oculaire et, cela avec une maîtrise d’observation de la rue ; une maîtrise du comportement de ce que nous sommes en tant que Caribéens, comme s’il soupçonnait certainement ce qui allait se passer. Il a un don atypique et, c’est à ce moment-là que rentre en jeu cette explosion populaire qu’il surveille dans son errance, en construisant des plans cinématographiques insoupçonnés, séquentiels, et en dessinant un fil discursif des archipels visuels quise connectent entre les îles : peu importe la différence de la langue et du langage, car la communication visuelle reste fluide.

Orlando Isaac
Commissaire d’exposition

1. Luis Díaz, auteur de « Danse dans la rue »